Alors que certains considèrent que les toitures végétalisées permettent de retarder la propagation du feu grâce leur couverture végétale et à l’humidité qu’elles contiennent, d’autres considèrent à l’opposé que leur présence constitue un risque incendie en présentant une charge combustible supplémentaire. Cette question devient un enjeu au Québec, où la législation en place actuellement est très rigoureuse et limite l’usage de ces toitures sur les structures en bois.

Les toitures végétalisées se définissent comme des toitures partiellement ou entièrement recouvertes de végétation qui forme des milieux biotiques [1]. En général, les toitures végétalisées se composent des couches suivantes : végétaux, substrat de croissance, couche filtrante, couche de drainage, barrière anti-racine, membrane d’étanchéité, couche d’isolation et pare-vapeur. Il existe différents types de toitures végétalisées qui se différencient notamment par l’épaisseur du substrat et le choix des végétaux. On retrouve notamment les toitures extensive, semi-intensive et intensive [1,2].

Les différents types de toitures végétalisées (CRÉDIT:Laurie Pique)

On reconnaît plusieurs bénéfices à la présence de ces toitures sur un bâtiment dont la réduction des îlots de chaleur, l’amélioration de la gestion des eaux pluviales, la purification de la qualité de l’air et de l’eau, l’isolation du bâtiment, le développement de la biodiversité et l’allongement de la durée de vie des matériaux [2,3,4]. Le type de toiture végétalisée choisi influence toutefois son impact environnemental en raison de la quantité de matériaux nécessaire à leur construction. En matière d’impact environnemental, Pique [5] a notamment démontré l’avantage des toitures végétalisées extensives et semi-extensives, par rapport aux toitures intensives et conventionnelles.

Malgré ces bénéfices, on tarde au Québec de permettre leur usage sur des structures en bois, en raison des enjeux entourant la sécurité incendie. Dans son ouvrage intitulé Critères techniques visant la construction de toits végétalisés [6], la Régie du bâtiment du Québec (RBQ) précise qu’un toit végétalisé pourra être construit sur un bâtiment assujetti au Code sans faire l’objet d’une demande de mesures équivalentes si tous les critères techniques décrits aux pages suivantes sont respectés, soit : les conditions de base, les composantes requises et l’étanchéité, les charges structurales, la résistance au soulèvement dû au vent et à l’érosion, le calcul hydraulique, les dégagements et la protection contre la propagation de l’incendie, l’entretien, et les directives d’ordre administratif. Parmi les conditions de base, l’ouvrage précise que le bâtiment doit être de construction incombustible. Notons que ce guide de la RBQ est actuellement en révision. Une version à jour sera disponible au cours des prochains mois.

Mais qu’en savons-nous vraiment sur la sécurité incendie de telles toitures ? Giacomello [7] a présenté une analyse approfondie de 25 publications relatives à la conception de toits verts et de façades/murs végétalisés, soit des codes, normes et documents officiels de pays à travers le monde, notamment en Amérique du Nord, en Europe, en Asie et en Australie. Son objectif était d’identifier la qualité et l’efficacité des exigences et des instructions relatives aux systèmes végétalisés et leurs technologies. Cet ouvrage se penche en grande partie sur la question de la sécurité des toits et murs végétalisés. Il a adressé plus précisément les aspects de sécurité incendie, de la sécurité structurale et de la force des vents, d’irrigation, d’entretien et d’estimation des coûts. Au total, 7 normes et 18 documents divers (codes de construction, guides, etc.) ont été consultés et analysés. Cette analyse a conduit à des conclusions, dont certaines en matière de risque et de sécurité incendie de ces structures végétalisées. L’auteure conclue d’une part qu’il n’y a pas de motif raisonnable de considérer que les systèmes de toits végétalisés, extensifs ou intensifs, présentent un risque d’incendie s’ils sont conçus, construits et entretenus conformément aux normes. Dans plusieurs documents, les toitures ainsi que les façades et murs végétalisés sont définis comme très résistants à l’inflammation s’ils sont maintenus humides, ce qui est la condition normale pour maintenir les systèmes en vie. Il est donc généralement accepté que la végétation qui bénéficie d’un entretien et d’une irrigation réguliers ne présente pas de risque d’incendie. En outre, selon l’auteure, aucun accident d’incendie notable n’a été causé ou aggravé par des toitures végétalisées.

On y rapporte que les toits, les façades et les murs végétalisés, peuvent présenter des risques qu’en présence de certaines conditions, dont l’absence d’entretien (présence de plantes mortes, de feuilles/branches sèches, etc.), s’il y a un manque d’irrigation, s’il y a une teneur élevée en matière organique dans les milieux de culture et enfin s’il y a présence d’éléments combustibles, comme des supports en bois. Ces risques peuvent toutefois être contrôlés par des stratégies de mitigation dont la mise en place de coupes feu, d’un plan de maintenance, d’un système d’irrigation, la réduction du contenu en matière organique du substrat de croissance à moins de 20 % et s’assurer que son épaisseur soit plus grande que 3 cm, privilégier des plantes à forte teneur en humidité/faible teneur en résine, au lieu de l’herbe et des mousses, utilisation d’éléments non végétaux (supports, etc.) incombustibles, et enfin, fournir un accès sécurisé au toit pour les pompiers.

L’auteure précise que la documentation spécifique sur les essais de performance au feu des toits verts n’a pas fait l’objet d’une analyse approfondie. Toutefois, elle signale que dans la littérature technique un bon nombre des exigences spécifiées sont basées sur un programme de recherche de grande envergure réalisé en 1988 par le Research and Material Testing Laboratory de Baden-Württemberg, en Allemagne. Ces essais ont montré qu’il est pratiquement impossible de mettre le feu à des toits verts extensifs et que le risque d’incendie est 15 à 20 fois plus faible que celui des toits conventionnels équipés de membranes d’étanchéité bitumineuses. Elle conclue donc que de nouvelles recherches et campagnes d’essais incendie sont nécessaires pour les caractéristiques spécifiques qui n’ont pas été examinées afin d’établir des informations plus détaillées sur le comportement au feu des systèmes de toits et murs végétalisés, et sur les éventuelles nouvelles exigences qui doivent être introduites dans les normes.

C’est avec cet objectif d’en savoir plus sur le réel impact des toitures végétalisées sur les risques d’incendie d’une structure de bâtiment en bois que Nataliia Gerzhova a réalisé un projet de doctorat à la Chaire industrielle de recherche sur la construction en bois (CIRCERB) de l’Université Laval, sous la supervision de Pierre Blanchet (ULaval), Christian Dagenais (ULaval/FPInnovations), Sylvain Ménard (UQAC) et avec la collaboration de Jean Côté (ULaval)[ 8, 9,10, 11]. Cette étude a permis quelques constats quant au comportement au feu des toitures végétalisées. D’une part, les travaux ont démontré que les membranes de bitume modifié, généralement utilisées sur les toits plats au Québec, dégagent plus d’énergie pendant la combustion que les substrats dans lesquels croissent les végétaux des toitures végétalisées. Le débit calorifique, soit l’énergie calorifique produite par la combustion par unité de temps, est un paramètre des plus importants dans l’évaluation du risque d’incendie. Bien que des débits calorifiques plus élevés soient atteints dans les premières secondes pour les deux types de substrats de croissance, elles diminuent rapidement après une minute. À l’opposé, le débit calorifique des membranes de bitume modifié ne diminue pas aussi rapidement après un premier pic et continuent à dégager de la chaleur pendant une période beaucoup plus longue. En résumé, le débit calorifique de la membrane est plus élevé que celui des substrats secs (0 % d’humidité). Cette différence est encore plus marquée dans le cas d’un substrat humide (30 %).

Débit calorifique des deux substrats, à l’état sec et à 30 % d’humidité, et de la membrane en bitume modifié (CRÉDIT:Nataliia Gerzhova )

Ces résultats soulignent l’importance de l’humidité du substrat. L’humidité présente dans le sol réduit considérablement le dégagement de la chaleur pendant la combustion. De plus, les travaux ont démontré que la présence d’humidité dans le substrat a également eu une influence sur le temps d’allumage. La persistance des flammes a diminué pratiquement de moitié dans le substrat humide puisque la présence d’humidité fait que le sol s’enflamme plus tardivement, en raison de l’eau qui doit d’abord être évaporée.

Ce projet de recherche a également démontré que même exposées à des chaleurs importantes pendant une longue période, les toitures végétalisées ne permettent pas de transfert de chaleur inquiétant à la structure du bâtiment. Les analyses de transfert thermique effectuées pour évaluer la propagation de chaleur au sein des différentes couches d’une toiture végétalisée ont démontré que la structure d’un toit en bois n’est donc pas assez « chauffée » en cas d’incendie pour atteindre une température dangereuse pour le bâtiment. Les tests ont établi que la toiture végétalisée retarde la propagation de la chaleur vers la structure, même avec une couche du substrat de seulement 50 mm d’épaisseur. Une température critique de 300 °C a été choisie en fonction de critères de défaillance de la structure d’un toit en bois où la carbonisation se produit. Les résultats montrent que la structure du toit atteint seulement 110°C après quatre heures, ce qui est bien en-dessous de la température critique de 300°C. De plus, en cas d’incendie sur une toiture végétalisée, ces travaux ont démontré que l’épaisseur du sol exerce une influence majeure sur la protection de la structure de toit sous-jacente; plus le sol est épais, moins la chaleur se propage jusqu’à la structure.

Impact de l’exposition thermique sur l’évolution des températures de la structure d’un toit (CRÉDIT:Nataliia Gerzhova )

Enfin, la doctorante a également évalué les risques pour les bâtiments adjacents en cas d’incendie sur une toiture végétalisée. L’effet des paramètres de la végétation (type, hauteur des plants, charge combustible et densité de plantation), de la teneur en humidité de cette végétation et de la vitesse du vent sur le risque de propagation du feu pour les bâtiments adjacents a été évalué. Dans sa simulation, elle a considéré le rayonnement thermique comme le principal mode de propagation du feu, alors que le flux thermique critique à la surface réceptrice a été fixé à 12,5 kW/m², valeur implicitement présumée dans le Code national du bâtiment du Canada pour les séparations spatiales. Les résultats obtenus démontrent qu’une toiture composée des plantes basses présente un risque beaucoup plus faible pour les bâtiments adjacents comparativement à une toiture qui comporte des végétaux plus hauts et denses. Encore, une fois, plus ces végétaux sont maintenus humides, moins ils représentent une menace pour les bâtiments adjacents.

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