Le concept de l’économie circulaire (EC) s’inscrit dans la grande mouvance du développement durable. Dans son sens large, ce système vise à réduire l’utilisation et le gaspillage des ressources en conservant les matières premières le plus longtemps possible dans le cycle de production-consommation, par l’adoption de différentes stratégies. L’économie circulaire s’oppose donc à l’économie linéaire dont le concept est; extraire – produire – consommer – jeter [1].

Plus précisément, l’économie circulaire peut être décrite comme un système de production, d’échange et de consommation visant à optimiser l’utilisation des ressources à toutes les étapes du cycle de vie d’un bien ou d’un service, dans une logique circulaire, tout en réduisant l’empreinte environnementale et en contribuant au bien-être des individus et des collectivités [1]. Le concept actuel de l’économie circulaire a été développé pour la première fois en 2010 par la fondation Britannique Ellen Mac Arthur [2]. Le concept a par la suite été repris par différentes organisations selon les mêmes lignes directrices. Nous présentons ici le concept tel que perçu par L’institut de l’Environnement, du Développement Durable et de l’Économie Circulaire (EDDEC) de HEC Montréal (Figure 1).

Figure 1 Concept de l’économie circulaire.
Crédit : EDCC

Selon Sassaneli & al « La dégradation des ressources terrestres et de l’environnement en général, causé par les phénomènes économiques tels que la globalisation et l’hyperconsommation ont créé un intérêt mondial pour le concept de l’EC. L’idée majeur derrière ce concept est de remplacer le principe de la « fin de vie » par d’autres principes tels que la restauration et la réutilisation des matériaux afin de créer une boucle fermée dans laquelle on peut envisager un nouveau cycle de vie pour ces matériaux considérés bien souvent comme en fin de vie utile. L’EC vise à éliminer les déchets, retenir la valeur intrinsèque des matériaux, privilégier l’utilisation de matériaux renouvelables et éliminer l’utilisation de matières chimiques toxiques. Cependant, l’utilisation de l’EC dans la pratique privée n’est pas encore très répandue, il est donc essentiel de rassembler et valider ce que la littérature fournit comme guide pour les personnes intéressées à appliquer les concepts de l’EC » [3].

Le potentiel de l’économie circulaire dans le secteur du bâtiment

L’EC est actuellement en plein développement afin de minimiser les impacts environnementaux du secteur de la construction [1],[4]. En effet, bien que son usage soit encore assez modeste en pratique dans l’industrie, l’économie circulaire est de plus en plus rapportée comme moyen pour diminuer l’impact environnemental du secteur. Son potentiel y est immense vu les impacts environnementaux majeurs de l’industrie. On estime que le secteur utilise, à l’échelle globale, 32 % des ressources, 25 % de l’eau, 40 % de l’énergie et 12 % des terres. De plus, le secteur génèrerait 25 % des déchets et serait responsable de 35 % des émissions de gaz à effet de serre [2]. Et enfin, seulement 20 à 30 % des matériaux seraient réutilisés d’une manière ou d’une autre en fin de vie d’un bâtiment [5].

Au cours des dernières années, des pratiques de développement durable se sont mises en place dans le secteur dans le but de réduire ces impacts. Pensons notamment à l’adoption de codes énergétiques plus strictes ou encore à l’usage des certifications environnementales pour bâtiments, telle la certification LEED. Les stratégies de l’économie circulaire font désormais partie des outils à la disposition des concepteurs pour réduire les impacts environnementaux du secteur de la construction.

L’EC vise à valoriser les matériaux et les déchets issus du secteur à travers différentes stratégies tel le réemploi, le recyclage ou la réduction par l’écoconception. La transition de l’économie linéaire vers une économie circulaire n’est toutefois pas facile. Dans le cadre d’un atelier du Centre d’études et de recherches intersectorielles en économie circulaire (CERIEC) en 2021, un certain nombre de freins à la mise en place d’une politique d’EC, ont été identifiés, en voici les principaux [6]:

  1. Les coûts de déconstruction vs les coûts de démolition (plus élevés);
  2. Les critères environnementaux ne sont actuellement pas tenus en compte dans les processus d’appel d’offre;
  3. Absence d’aide financière pour des projets plus environnementaux;
  4. Manque de formation et de support;
  5. Matériaux secondaires (qui peuvent plus facilement être réutilisés ou recyclés) plus couteux;
  6. Construction actuellement en silo, avec peu ou pas de collaboration entre les différents intervenants;

Le nombre d’études sur l’économie circulaire dans le secteur de la construction a augmenté ces dernières années, mais ça demeure un sujet assez peu étudié. Pour pousser plus loin le développement de connaissances dans ce champ d’étude, Zahra Hosseini réalise un projet de doctorat à la Chaire industrielle de recherche sur la construction écoresponsable en bois (CIRCERB) de l’Université Laval. Son projet vise à étudier les impacts des stratégies d’EC dans le secteur de la construction. La doctorante cherche notamment à évaluer le potentiel de l’utilisation de structures en bois dans les stratégies d’économie circulaire, par rapport aux autres matériaux structuraux (béton et acier) pour les bâtiments résidentiels.

Afin de mesurer les impacts positifs des pratiques de développement durable, tels les principes de l’économie circulaire, l’utilisation de l’analyse du cycle de vie (ACV) s’avère un outil essentiel. L’ACV est utilisée afin d’évaluer les impacts environnementaux et sociaux d’un produit ou d’un service. Dans le domaine du bâtiment, elle devient donc un atout pour générer de la donnée fiable sur les émissions de GES et autres impacts environnementaux liés aux bâtiments. L’ACV prend en compte de façon globale tous les impacts environnementaux d’un bâtiment et permet de considérer toutes les étapes de son cycle de vie, de sa construction, en passant par son usage et sa fin de vie.

Zahra Hosseini a donc eu recours à l’ACV pour étudier les impacts que l’EC peut avoir dans le secteur de la construction, du design et du choix des matériaux jusqu’à la fin de vie du bâtiment. Son étude a comparé les impacts d’un bâtiment multi résidentiel de six étages construit avec quatre matériaux différents soient, le béton, le bois massif, l’ossature légère en bois et l’acier.

Les résultats préliminaires de l’ACV montrent qu’en considérant une stratégie circulaire pour la gestion des matériaux en fin de vie, l’impact environnemental du bâtiment en structure de bois massif diminue. En effet, la figure 2 présente la comparaison de l’impact de trois scénarios pour le traitement des matériaux de construction à la fin de vie du bâtiment en bois massif, soit l’enfouissement, le recyclage et la réutilisation. L’axe horizontal montre les différentes catégories d’impact dans lesquelles la performance du bâtiment a été évaluée. Et l’axe vertical représente la contribution de chaque scénario (recyclage ou réutilisation, par rapport à l’enfouissement) pour chaque catégorie d’impact. Comme les échelles des indicateurs pour les catégories d’impact sont différentes, dans cette figure, les résultats ont été recalculés en pourcentage total d’impact.

Pour un bâtiment en bois massif, on y constate que la stratégie de réutilisation des matériaux en fin de vie est celle qui permet la plus grande réduction des impacts, suivie du recyclage, en comparaison à la stratégie d’enfouissement des matériaux. Les prochaines étapes du projet serviront à comparer ces impacts pour les autres matériaux de structure d’étudier l’impact social de l’EC dans le secteur de la construction.

Figure 2: Résultat de l’AVC pour le bâtiment en bois massif.
Crédit : Zahra Hosseini, CIRCERB

L’intégration des principes de l’EC dans les produits forestiers de façon plus large a été abordée dans une autre étude récente [7]. On y souligne que le gouvernement du Canada a adopté l’économie circulaire et soutient un nombre croissant d’initiatives dans ce domaine, mais que les exemples de mise en œuvre demeurent rares. Cette étude avait pour objectif de fournir une perspective canadienne sur la façon dont, et dans quelle mesure, les produits forestiers sont compatibles avec les stratégies d’économie circulaire. Pour y arriver, des entretiens ont été réalisés auprès de 16 experts canadiens en matière d’éco-conception, d’économie circulaire, de produits forestiers et/ou de gestion des déchets, en mettant l’accent sur la construction et l’emballage. Les experts ont identifié les stratégies déjà appliquées dans l’industrie, celles qui peuvent être facilement intégrées et celles qui sont le plus prometteuses. D’une part, on reconnaît les efforts déployés par les industries forestières au stade de la fabrication pour améliorer l’efficacité des processus et réduire la consommation de ressources. Mais on avance qu’ils sont menés par des impératifs économiques plutôt que par conscience environnementale. La réutilisation, le recyclage et la récupération d’énergie ont également été identifiées pour au moins deux des quatre produits à l’étude. En ce qui a trait aux stratégies les plus faciles à adopter, les spécialistes interviewés ont souligné que, pour chaque produit, des stratégies variables pourraient être appliquées facilement, c’est-à-dire sans changements significatifs au produit lui-même ou à la façon dont il est utilisé. Par exemple, il a été suggéré que les produits en bois d’ingénierie, tels que le bois lamellé-croisé (CLT), pourraient être fabriqués à partir de billes de petit diamètre qui ne sont actuellement pas envoyées dans les scieries, mais sont soit laissées dans la forêt, soit réduites en copeaux pour d’autres usages. Dans les bâtiments, le bois récupéré pourrait être réutilisé pour des applications non structurelles, comme des murs non porteurs, sans que la sécurité ne soit mise en cause. Enfin, le tableau 1 présente les stratégies d’EC qui ont le plus de potentiel pour les différents produits étudiés. Pour le bois de sciage, la stratégie la plus prometteuse est de loin la réutilisation dans les bâtiments. La valorisation énergétique a quant à elle été identifiée comme la stratégie la plus prometteuse pour les panneaux particules, mais le recyclage a également été proposé, notamment par sa réintroduction en quantités limitées dans le processus de fabrication des panneaux de particules. Du côté du carton, comme le recyclage est déjà bien mis en œuvre, plusieurs personnes l’ont sélectionné comme la stratégie la plus prometteuse. Pour augmenter les taux de recyclage actuels, il faudrait toutefois soit séparer et collecter davantage les différents flux de papier à la source, soit améliorer les technologies de tri pour le recyclage à flux unique afin que le carton ne soit pas contaminé ou mélangé à des papiers de moindre qualité. Enfin, pour ce qui est de la pâte de cellulose utilisée pour l’emballage est en concurrence avec des matériaux moins chers et plus légers. Ainsi, la réduction de l’utilisation des ressources a été mentionnée comme un facteur important pour une plus grande adoption, soit pour réduire le coût, soit pour diminuer l’empreinte environnementale.

Tableau 1 : Les stratégies les plus prometteuses identifiées par produit forestier
Crédit : adapté de Gagnon et al., 2022

Les auteurs de l’étude affirment que les barrières semblent multiples quant à la mise en pratique d’une économie circulaire dans le monde de la construction en bois, parfois les défis sont techniques, basés sur le marché, culturels, réglementaires ou généralement une combinaison de ces différents facteurs. Les experts consultés ont proposé plusieurs solutions pour accélérer le déploiement des stratégies d’économie circulaire pour les produits forestiers pour lesquelles les interventions gouvernementales devraient être adaptées. La circularité entraînant des répercussions sur l’ensemble de l’économie, l’établissement d’une orientation politique claire au niveau national, avec une feuille de route sur l’économie circulaire pour le Canada par exemple, pourrait accélérer la mise en œuvre coordonnée au sein et entre les secteurs, y compris les industries forestières.

Construction de bâtiment en composants préfabriqués qui réduisent les pertes en matières premières
Crédit : CIRCERB

Les changements dans les pratiques, suggérés par les principes de l’EC, ne sont toutefois pas sans répercussions du côté des chaînes d’approvisionnement de l’industrie. L’utilisation croissante d’un nouveau produit dans un marché existant peut impliquer un changement dans l’approvisionnement des matériaux et dans les impacts environnementaux. Les stratégies du gouvernement du Québec visent à développer des produits forestiers pour soutenir cette industrie et la construction en bois [9]. Dans leur foulée, les dernières années ont vu pousser de plus en plus de bâtiments en bois de grande hauteur démontrant la faisabilité technique et l’engouement pour ce matériau. L’accroissement de l’utilisation du bois en construction peut toutefois engendrer des changements dans la chaine d’approvisionnement des matériaux de construction, dans les flux du bois à travers ses différents marchés et dans les impacts environnementaux qui y sont associés. Dans ce contexte, un projet de doctorat est mené par Sylvain Cordier au sein de la CIRCERB à l’Université Laval et du Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche en Ingénierie Durable et Écoconception (LIRIDE) à l’Université de Sherbrooke. Le projet vise à modéliser les conséquences de l’utilisation croissante du bois dans les nouvelles structures non résidentielles (NR) afin de dresser un profil environnemental de celles-ci.

Par exemple, selon l’importance des récoltes supplémentaires à effectuer en lien avec cette nouvelle demande, il faut tenir compte de la disponibilité forestière et en mesurer les impacts environnementaux. De plus, à l’échelle du bâtiment, il faut tenir compte que ces nouvelles structures en bois permettent un stockage temporaire du carbone atmosphérique. A l’échelle du stock de bâtiment, le stockage global est plus permanent tant que le stock de bâtiment en bois se renouvelle. Selon les scénarios de fin de vie des structures en bois, d’autres conséquences peuvent se produire. Le bois peut être réacheminé vers d’autres usages (ex. : réutilisation dans une structure, recyclage en panneaux de particules ou revalorisation énergétique). Cela permettrait de remplacer de la matière vierge ou des ressources fossiles. Cependant, si le bois est brûlé pour utiliser son pouvoir calorifique, le carbone stocké sera alors émis dans l’atmosphère. Dans le cas d’une utilisation croissante du bois, d’autres matériaux de construction peuvent être évités. On peut donc se demander s’il y a un bénéfice à récolter plus de bois pour éviter les impacts environnementaux des autres produits de construction (figure 3).

Figure 3: Substitutions des matériaux de construction conventionnels par le bois. Source : Sylvain Cordier (CIRCERB) communication personnelle.
Crédit : Sylvain Cordier, CIRCERB

Dans le concept de l’EC, l’analyse des impacts environnementaux est essentielle pour dresser un profil précis de l’ensemble des conséquences. Entre autres, il faut tenir compte de L’extraction des matières premières, la production, Le transport, la construction du bâtiment, l’utilisation et la maintenance du bâtiment et finalement la destruction et la fin de vie [10]. Pour cela, la quantité potentielle de bois à récolter pour les nouvelles structures non résidentielles doit être estimée (11) et une estimation du niveau de substitution des matériaux de production est absolument nécessaire [12]. Les scénarios de fin de vie et la modélisation dynamique sont également considérés pour représenter la temporalité des émissions et de la séquestration temporaire du carbone. Enfin, l’inventaire des émissions et les conséquences potentielles de l’extraction devrait permettre de mieux évaluer leurs impacts environnementaux [13].

Les principaux résultats de l’étude présentent la substitution de l’acier et du béton comme étant le bénéfice le plus important. Si la substitution de l’acier et du béton et si l’évitement des impacts en fin de vie ne sont pas suffisants, la séquestration du carbone atmosphérique dans les structures en bois permettrait un bénéfice sur le bilan global. Cependant, ce bénéfice est valable tant que le stock des structures en bois se renouvelle et qu’il y a des parts de marché prises sur l’acier et le béton.

Ces projets permettent de constater que le bois peut être un allié dans la transition vers une économie circulaire puisque ce matériau se prête bien à l’adoption de plusieurs stratégies de cette nouvelle économie.

Finalement cette nouvelle économie, circulaire, permet d’offrir deux avantages notables ; Un avantage environnemental et un avantage économique. En effet, le principale avantage environnemental est la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES). De plus, optimiser l’utilisation des ressources permet de réduire la consommation d’eau, d’énergie et de matières premières vierge. D’un point de vue économique, l’EC peut permettre un accroissement du PIB et la création d’emplois. Finalement, cette meilleure utilisation des matériaux pourrait permettre de générer des économies substantielles à la fois aux particuliers mais aussi aux entreprises [13].

 

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